Aux origines du steampunk : les auteurs d’anticipation du 19e siècle

Connaissez-vous le mouvement steampunk, né dans les années 1970 en Grande-Bretagne ? Ce mouvement littéraire et culturel issu de la science-fiction est particulièrement intéressant car il imagine un monde où passé et futur ne font qu’un… un monde extraordinaire fait de dirigeables et de ballons à vapeur, de savants fous et d’aventuriers prêts à découvrir les mystères de l’univers !

J. Grand-Carteret, La conquête de l’air vue par l’image (1495-1909), Paris, Annales, 1909, Gallica

Si le steampunk est apparu initialement dans le domaine de la littérature sous la plume de K. W. Jeter, Tim Powers et James Blaylock, il est aujourd’hui une culture à part entière, inspirant la mode, la musique, des films, des séries, des jeux vidéo, le mouvement « Do it yourself », etc. Il s’agit d’une uchronie rétrofuturiste basée sur la projection d’un futur probable dans un monde qui ressemble à celui de la révolution industrielle de la fin du 19e siècle.

L. Enault, gravures G. Doré, London, a pilgrimage, Londres, Grant, 1872, Bibliothèque de Toulouse, C. A 27, Gallica

Dans cet univers alternatif, les codes et l’esthétique de l’époque victorienne à Londres ou de la Belle Époque à Paris sont conservés et enrichis par des éléments imaginaires s’appuyant sur des technologies qui mêlent le passé et le futur : les auteurs imaginent ainsi des ordinateurs ou des machines volantes fonctionnant non plus à l’électricité mais à la vapeur (d’où le nom du mouvement : steam voulant dire « vapeur » en anglais). Le mouvement steampunk utilise des technologies obsolètes (la vapeur, les dirigeables…) pour imaginer l’avenir. C’est un monde où tout reste encore à découvrir et à être expérimenté. Les œuvres steampunk sont donc avant tout des histoires d’aventure, souvent teintées de mystères et d’énigmes à résoudre, mêlant l’humour et la fantaisie.

Alexander Schlesier, Masque steampunk, 2012, WikiCommons 

Les matériaux anciens comme le cuivre, le laiton, le bois et le cuir sont à l’honneur. De façon générale, ce sont les machineries, les rouages et les automatismes qui sont représentatifs de l’esthétique steampunk. Dans ces œuvres, les femmes et les hommes portent les tenues typiques de l’ère victorienne : robes à crinolines, corsets, bottines, hauts-de-forme, montres à gousset ou encore lunettes d’aviateur.

Dans cet univers imaginaire, il n’est pas rare que les héros croisent des personnages historiques ayant réellement existé ou bien des personnages tirés des romans de Jules Verne ou de Wells. En effet, les auteurs d’anticipation du 19e siècle, pères de la science-fiction, ont largement inspiré les auteurs steampunk. Certains les qualifient même de proto-steampunk.

Le capitaine Némo, dans : J. Verne, ill. Riou, Vingt mille lieues sous les mers, 1871, Gallica

Jules Verne est certainement l’auteur de la fin du 19e siècle le plus cité par les amateurs de steampunk : ses romans d’aventures extraordinaires et fantastiques continuent toujours de fasciner petits et grands, aujourd’hui encore. Il est d’ailleurs l’auteur français le plus traduit dans le monde. Avec ses romans publiés sous la collection Voyages extraordinaires dirigée par Hetzel, il avait pour ambition de synthétiser toutes les connaissances scientifiques et de réécrire toute l’histoire de l’univers grâce à la fiction. Parmi ses œuvres, celle qui a le plus marqué les imaginaires est certainement Vingt mille lieues sous les mers, publié en 1869-1870.

J. Verne, La maison à vapeur, Paris, Hetzel, 1902, Bibliothèque de Toulouse, Res. B XIX 263, Gallica 

Dans un registre moins connu, La Maison à vapeur, publié en 1880, imagine un éléphant mécanique fonctionnant à la vapeur, qui permet à quatre Anglais de voyager à travers l’Inde. L’Île à hélice, publié en 1895, met en scène une île flottante propulsée par l’électricité et des machines. Si vous souhaitez découvrir les chefs-d’œuvre de cet auteur, vous pouvez consulter le coup de projecteur publié sur Rosalis à ce sujet.

J. Verne, L’île à hélice, Paris, Hetzel, 1895, Bibliothèque de Toulouse, Res. B XIX 294, Gallica 

L’autre parrain de la science-fiction est l’anglais H. G. Wells. Tout comme Verne, Wells adoptait une position prudente envers les idées reçues en matière de progrès et de technologie, mais il paraissait plus enclin dans ses romans à critiquer l’ordre établi et à mettre l’accent sur les classes sociales. Dans La machine à explorer le temps, publié en 1895, il mêle à la fois la thématique de la lutte des classes sociales et du voyage dans le temps, devenu un classique de la science-fiction. Dans L’île du Docteur Moreau (1896), il raconte l’histoire d’un savant fou qui crée des créatures chimériques, moitié homme-moitié animal. Sa vision de l’avenir est plus pessimiste que celle de Jules Verne : dans Une histoire des temps à venir (1897), il donne à voir un Londres artificialisé où tout est automatisé et où les humains ne voient plus le soleil dans une gigantesque métropole ultra-urbanisée.

H.-G. Wells, Les premiers hommes dans la lune, Paris, Calmann-Lévy, 1913, Bibliothèque de Toulouse, CM 18486 (82), Gallica 

Il imagine le voyage lunaire et ses habitants, les sélénites, dans Les premiers hommes dans la lune (1901). L’invasion extraterrestre est relatée dans La Guerre des mondes (1898). Par la suite, le mouvement steampunk reprend et développe à sa sauce des thèmes chers à Verne et à Wells : les inventions scientifiques et technologiques, les machines extraordinaires, l’invasion extraterrestre, la figure du savant fou, etc.

H.-G. Wells, La guerre des mondes, Bruxelles, L. Vandamme & C, 1906, Gallica 

L’univers steampunk intègre souvent des mythes de l’ère victorienne, à l’image de Sherlock Holmes, Dracula ou Jack l’Éventreur. Ainsi, le créateur de Sherlock Holmes, l’écossais Arthur Conan Doyle, met en scène un détective privé perspicace dans un cadre londonien à la fin du 19e siècle. Conan Doyle publie entre 1887 et 1915 quatre romans (dont le plus célèbre est Le Chien des Baskerville) et cinquante-six nouvelles mettant en scène Sherlock Holmes.

A. Conan Doyle, Premières aventures de Sherlock Holmes, Paris, Flammarion, 1913, Gallica

Il est doté d’une mémoire remarquable et d’une capacité de déduction hors du commun. Lors de ses enquêtes, Holmes est fréquemment accompagné du docteur Watson, son meilleur ami qui narre le plus souvent les aventures. Personnage très « typé », il est devenu l’archétype du « détective privé » pour des générations d’auteurs populaires de roman policier. Plus tard, les auteurs steampunk s’inspirent de l’atmosphère victorienne de l’œuvre.

Sherlock Holmes décryptant un message codé, dans : The Strand Magazine (septembre 1914 – mai 1915), WikiCommons, Collection Bibliothèque publique de Toronto

Enfin, le dessinateur et caricaturiste Albert Robida est moins connu mais ses anticipations farfelues et visionnaires gagnent à être découvertes. Très célèbre en son temps pour ses dessins de presse et son humour corrosif, sa renommée tombe après la Première Guerre mondiale. Il est notamment redécouvert par des amateurs de steampunk pour ses romans d’anticipation : Le vingtième siècle (1883), La guerre au vingtième siècle (1887) et La vie électrique : le vingtième siècle (1891-1892).

A. Robida, La vie électrique : le vingtième siècle, Paris, 1892, Gallica 

Dans ses fictions, Robida montre un avenir où toutes les innovations techniques, aussi folles soient-elles, sont intégrées et utilisées par tout le monde : il imagine la civilisation du futur. Sans avoir les connaissances scientifiques de Jules Verne, en se fiant à son intuition et à sa fantaisie, il présente un tableau du 20e siècle qui n’est pas trop éloigné de la réalité. Il dessine ainsi des téléphonoscopes (sorte de cinéma), la publicité sur les toits de Paris, le vote des femmes, l’abolition de la peine de mort, la création de parcs nationaux, la construction d’un sixième continent et même la colonisation de la lune !

A. Robida, Le vingtième siècle, Paris, 1883, Bibliothèque de Toulouse, Res. B XIX 401, Gallica 

Dans Jadis chez aujourd’hui (1890), Louis XIV débarque du 17e siècle pour s’émerveiller devant les réalisations du 19e siècle, dans une inversion originale du thème du voyage dans le temps.

A. Robida, Jadis chez Aujourd’hui, Paris, A. Colin, 1933, Bibliothèque de Toulouse, FCJ D 1024, Rosalis 

Dans cet itinéraire en terres imaginaires, Rosalis a fait la lumière sur des auteurs d’anticipation du 19e siècle qui ont marqué des générations… et finalement les créateurs du mouvement steampunk à la fin du 20e siècle. On a voyagé avec Jules Verne, H. G. Wells, Arthur Conan Doyle et Albert Robida. Mais on aurait aussi pu présenter de nombreux autres auteurs fascinants comme Charles Dickens, Edgar Allan Poe ou encore Lovecraft.

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