L’Histoire de Babar, fondateur de l’album moderne
L’Histoire de Babar, un album moderne pour enfants
En 1931, paraissait l’Histoire de Babar, le petit éléphant, bouleversant au début du 20e siècle la conception de l’album pour enfant en France.
La période allant de la fin du 19e au début du 20e siècle a été féconde en innovations graphiques : en France, l’artiste Édy Legrand a par exemple publié Macao et Cosmage à la Nouvelle Revue Française en 1919, renversant la hiérarchie en cours à l’époque entre l’image et le texte ; le dessinateur André Hellé a mis la grande modernité de ses illustrations, aplats et formes simplifiés, au service de livres comme La boîte à joujoux (Tolmer, 1926), mais c’est indubitablement avec Babar que le peintre Jean de Brunhoff (1899-1937) fonde l’album moderne pour les plus jeunes. Pour la première fois en effet, un artiste explore toutes les potentialités narratives d’un objet livre, dans lequel l’histoire va se construire sur les relations étroites et indissolubles entre les images et le texte.
Comment est né Babar ?
C’est Cécile, l’épouse de Jean de Brunhoff qui a imaginé cette histoire d’éléphant pour Mathieu, l’un de ses fils, alors qu’il était malade. Lorsque l’enfant en parle à son père, celui-ci en fait une histoire dans une feuille pliée en deux avec écrit à la place de l’éditeur « Chez nous ». Ses premières esquisses vont attirer l’attention de son beau frère Lucien Vogel, éditeur au Jardin des modes, qui lui propose alors de retravailler son récit pour publication.
Babar ou l’écriture par l’image
Avec cette histoire d’un petit éléphant qui perd sa mère tuée par un chasseur, Jean de Brunhoff propose pour la première fois un héros anthropomorphe pour les plus petits dans un objet total. Il est le premier à pressentir et à investir les possibilités « iconotextuelles » de l’album, dans lequel image et texte font sens et fonctionnent de concert.
Dans ce livre grand format, comme un écho à la taille impressionnante du personnage principal, l’auteur déroule les différentes étapes du récit, chaque double page devenant un espace où le temps se trouve graphiquement représenté.
Ainsi pour la scène traumatique de la disparition de la mère de Babar, nous avons sur la page de droite une scène d’insouciance et de complicité entre mère et enfant, et sur la page de gauche la mère morte pleurée par l’éléphanteau. Le mouvement du regard du lecteur fait avancer le temps et nous renseigne en creux sur l’acte fatal du chasseur : la pliure centrale devient donc matériellement une frontière séparant le temps du bonheur de celui du drame.
Cet investissement de l’espace dans l’album permet donc de créer des ellipses, de jouer de l’attente du
Dans la scène de l’arrivée de Babar en ville, l’enfant non lecteur comprend par exemple immédiatement par le jeu des échelles et la disposition sur la double page, qu’il s’agit bien du même animal dessiné par l’auteur, et que cette répétition raconte une fuite affolée hors de la jungle jusqu’à la découverte surprise d’un environnement urbain. En utilisant l’écriture cursive, Jean de Brunhoff s’offre aussi une plus grande liberté de mise en page, grâce à laquelle l’enfant peut découvrir l’histoire d’abord par l’image, ou par le texte.
L’album devient un espace où s’associent simultanément deux narrations : une narration verbale et une narration iconique. L’Histoire de Babar ouvre la voie à l’expression d’un vocabulaire graphique que ne cessent aujourd’hui encore d’interroger les artistes illustrateurs de littérature jeunesse.
Jean de Brunhoff n’écrira que quatre autres albums autour de son héros, Le voyage de Babar (1932), le Roi Babar (1933), l’ABC de Babar (1934), les Vacances de Zephir (1936) puisqu’il mourra prématurément en 1937. Mais son fils Laurent de Brunhoff reprendra le flambeau à partir de 1946 et poursuivra l’exploration de l’univers de Babar. Leurs albums ne cessent depuis d’être réédités – ils sont diffusés en 27 langues dans plus de 167 pays, confirmant ainsi la justesse d’écriture des aventures du petit éléphant.