Le livre pauvre en mouvement(s)
L’exposition « Livres pauvres : arts & poésies mêlés » présente une collection d’œuvres sur la thématique « L’eau et les rêves », suite à l’appel à contributions proposé par Daniel Leuwers en collaboration avec les bibliothèques de Toulouse. Cet appel, effectué d’août à décembre 2021, a été une manière de faire connaître une démarche créative particulière et de récolter les œuvres de poètes et artistes contemporains tels que Gérard Le Gouic, Pierre Bergounioux, Max Alhau, Giraud Cauchy, Maria Desmée ou encore Ghislaine Lejard, etc, témoignant ainsi des différents mouvements artistiques et poétiques de notre temps. Ainsi les 40 livres pauvres issus de ce projet sont actuellement exposés à la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine et à la Médiathèque Grand M.
D’une immobilité sculpturale, taillée dans le marbre blanc d’une feuille rigide, le livre pauvre déploie ses volumes dans l’espace d’exposition sans bouger de sa vitrine. Le mouvement habituel du lecteur est renversé, l’animation du livre, suggérée : on ne tourne plus les pages, on tourne autour d’elles. Leur manipulation s’est effacée derrière l’idée que le lecteur/spectateur est tenu à distance du livre, empêché de le toucher, et invité à se déplacer jusqu’à lui.
Il y découvre alors l’écriture, l’encre déposées sur la matière qui ruissellent le long de lignes imaginaires et abondent sous la plume portée par les rêves et la pensée. Les flots se déversent dans le silence d’un « tissu-fleuve » (S. Voïca, A. Contreras) qui gonfle à mesure que l’écrivain se laisse emporter entre les rives où s’allongent les pinceaux, roseaux tendus comme des mains amies. Et leurs interventions de se substituer au geste de lire : comme des gouttes qui éclatent (A. Casanova, M. Oh), les vers rebondissent, jaillissent à la vue du lecteur.
Le livre pauvre est un dialogue qui réunit l’art et la poésie, multiplie les allers et les retours entre l’un et l’autre. Sans cesse les disciplines se rencontrent, s’affrontent ou se répondent pour accueillir les expériences des povéristes ; poètes s’essayant à la peinture ou artistes adoptant la plume. À la surface du papier « crêté d’écume » (M. Partezana, P. Bergounioux) où ondulent les mots et les interventions plastiques, flottent les innombrables possibilités du genre, voguant librement d’une page à l’autre, de la couverture au colophon.
Les limites ne sont plus ou s’évaporent pour accueillir les excentricités de chacun. Il est, encore, le lieu mouvant d’un échange permanent entre des cultures différentes, ignorant des frontières physiques : il circule sans cesse, exposé partout dans le monde.
C’est ainsi l’espace d’expériences nouvelles, où l’on « flotte entre deux rêves » (M. Alhau, C. Sbaffo), porté par les mots et les images fondus en une « eau qui parle », comme l’écrit Bachelard. Cette dernière est-elle pour autant la « maîtresse du langage fluide » qu’il évoque ? En réalité le langage povériste n’est pas tout à fait fluide. Il est fait d’accidents, d’« assauts qui embrasent les yeux » (D. Leuwers, C. Cordrie), d’ornières où échouent, germent et fleurissent les fruits d’un mouvement permanent, d’une marche vers l’au-delà de l’art et de la littérature conjugués.