Les armoiries imaginaires : des hérauts au service des héros

Le manuscrit 798 conservé à la bibliothèque de Toulouse est un superbe armorial catalan, c’est-à-dire un répertoire d’armoiries, de « blasons », datant de la fin 15e – début 16e siècle. Dans cet armorial, des écus de personnes ayant réellement existé, mais aussi d’autres, complètement inventés… Pourquoi doter des personnages d’armoiries imaginaires ?

Mon écu, c’est moi !

Les armoiries apparaissent dans la société médiévale à l’orée du 12e siècle (premier usage d’un sceau armorié en 1126). C’est une période où la notion d’individu émerge, où les noms patronymiques font leur apparition, la société change et a besoin de « signes ». Les armoiries vont répondre à ce besoin et se diffuser petit à petit dans toute la société médiévale.
Pour se retrouver dans ce « who’s who », les hérauts d’armes font rédiger et peindre des armoriaux, recueils d’écus des personnes sur un territoire donné, ou à l’occasion de tournois.

Les Neuf preux ?

Si l’on revient à notre manuscrit, à la page 9, on découvre pourtant neuf écus de personnages qui sont soit purement imaginaires, comme le roi Arthur et le héros Hector, soit qui ont vécu bien avant l’apparition des signes héraldiques, comme Alexandre le Grand ou Charlemagne.
Ces armoiries ont donc été inventées pour ces neuf personnages. Pourquoi ?

Les « super-héros » du 14e siècle

Parfaite incarnation des valeurs chevaleresques, les « Neuf preux », apparaissent sous la plume d’un auteur lorrain, Jacques de Longuyon, attaché à la cour de Thibaut de Bar, évêque de Liège.
Dans son ouvrage, Le vœu du paon, rédigé entre 1312 et 1313, il rassemble trois juifs (Josué, le roi David, Judas Macchabée), trois païens (Hector, Alexandre, César) et trois chrétiens (le roi Arthur, Charlemagne et Godefroi de Bouillon).
Ces saints laïcs du monde aristocratique regroupés sous l’appellation des Neuf preux connurent un succès extraordinaire dans la littérature, les arts et l’idéologie nobiliaire. Entre 1330 et 1340 les hérauts leur attribuent des armoiries. Leur popularité se traduit par une abondante iconographie, ils sont présents sur les tapisseries, les peintures murales, les gravures, les cartes à jouer jusqu’à la fin du 16e siècle.

Les armoiries imaginaires : une invention médiévale ?

Les plus anciennes armoiries imaginaires sont quasiment contemporaines des plus anciennes armoiries véritables. Dans les romans « antiques », composés dans les années 1160-1170, on rencontre déjà des armoiries attribuées à des héros littéraires, notamment dans le Roman de Troie, de Benoît de Sainte-Maure, et dans l’anonyme Roman d’Enéas, qui lui est contemporain. Les premières représentations figurées suivent assez rapidement. Les ensembles les plus importants se trouvent dans les textes littéraires. Dès la fin du 12e siècle, les poètes successeurs de Chrétien de Troyes blasonnent celles du roi Arthur et de quelques chevaliers de la Table Ronde. A la Renaissance et aux siècles suivants, cette mode continuera chez Rabelais, Cervantès et même Balzac, dans La Comédie humaine !

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