Oud et luths
Le Oud dans la Description de l’Égypte
Le 19 mai 1798, une armée de 38 000 hommes dirigée par le général Bonaparte embarque depuis Toulon vers l’Égypte. Une commission des sciences et des arts composée de 165 savants et artistes accompagne le corps expéditionnaire. Dans des conditions très difficiles, ces jeunes scientifiques recueillent des observations qu’ils compileront dans la monumentale Description de l’Égypte, dont les 10 volumes sont en consultation sur Rosalis. L’un des principaux auteurs de ce chef d’œuvre de l’édition et de l’illustration, Guillaume-André Villoteau (1759-1839) est un ancien musicien de la maîtrise de musique de Notre-Dame et un chanteur lyrique qui s’est produit dans différents théâtres de la capitale. Il initie au cours de l’aventure égyptienne une nouvelle discipline scientifique, en documentant les pratiques musicales dont il est le témoin par des partitions, des croquis ou des notes.
En outre, il rassemble une précieuse collection de 22 instruments de musique traditionnels, dont ce oud, si précisément représenté sur cette estampe, qu’il ramènera avec lui en France à l’issue de l’expédition. Le musicographe belge et directeur du Conservatoire royal de Musique, François-Joseph Fétis (1784-1871), s’intéresse à la collection de Villoteau, qu’il connaît et avec qui il correspond. Fétis fait l’acquisition de 16 instruments orientaux, parmi lesquels un oud égyptien à sept doubles cordes, semblable en tout point à celui représenté dans la Description de l’Égypte. Cet instrument, aujourd’hui exposé au Musée des instruments de musique de Bruxelles, est le plus ancien exemplaire connu conservé en Europe.
Pérégrination vers l’Est
Mais, les voyages du oud ont débuté beaucoup plus tôt dans l’Histoire. Issu d’une longue lignée de luths à manche court en forme d’amande ou de poire qui s’est développée dès l’Antiquité depuis l’est de la Mésopotamie, la Bactria et le Gandhara, l’ancêtre du oud, le barbat persan, emprunte la route de la soie et se faufile entre les déserts de Gobi et du Taklamakan pour s’introduire et se diffuser dans l’Empire du Milieu. Une peinture d’époque Tang peinte sur la paroi d’une grotte de Dunhuang, petite ville chinoise de garnison à la jonction de deux routes venant d’Asie centrale, montre une nymphe céleste apsara dansant et jouant du luth retourné dans son dos, dans une posture immortalisée beaucoup plus tard par Jimi Hendrix.
C’est sous le nom de pipa que l’instrument voyageur se popularise dans sa nouvelle terre d’adoption et, malgré son origine « barbare », supplante très vite les luths locaux pour incarner le raffinement des musiques classiques chinoises. En témoigne ce joueur de luth pipa accompagnant les chanteurs lors d’une représentation d’opéra cantonais, saisi sur le vif par le dessinateur Thomas Allom au milieu du 19e siècle dans L’Empire chinois édité à Londres par Fisher.
Le Moyen-Orient et le Maghreb
L’instrument s’est aussi diffusé vers l’Ouest dans tout le Moyen-Orient et le Maghreb, là encore pour y régner. Instrument soliste, présent dans les orchestres où il assume la partie de basse mélodique ou rythmique, employé aussi pour accompagner les chanteurs, le oud s’impose comme l’emblème des musiques traditionnelles ottomanes et arabes. Il se stabilise dans sa facture actuelle pendant l’occupation musulmane de l’Espagne (711-1492) : une caisse de résonance rebondie et profonde constituée d’une quinzaine de côtes, un manche court terminé par un chevillier renversé en arrière, une table d’harmonie percée de roses et 4 ou 5 chœurs de cordes doublées pincées par un plectre.
Le luth en occident : poésie et séduction
Suite à l’afflux de nombreux musiciens du monde islamique vers l’Andalousie, l’Ibérie musulmane devient un centre de fabrication d’instruments qui se répandent progressivement en Aquitaine et en Provence et dont la sonorité influence l’art des premiers troubadours et trouvères français. Aux 13è et 14è siècles, nombre de joueurs de luth et de guiterne – deux instruments affiliés au oud -, sont représentés sur les manuscrits enluminés, comme ici ce monstre hybride dans les marges de ce Missale romanum.
Mais, c’est à la Renaissance que le luth s’impose véritablement en Occident. Dans toute l’Europe, de l’Espagne à la Hongrie, de l’Écosse à l’Italie, il acquiert un statut de premier plan et symbolise l’harmonie universelle, la distinction et le bon goût. Associé aux lyres d’Apollon ou d’Orphée, il est l’instrument de la poésie chantée. Il est aussi réputé avoir une influence particulière sur le corps et ses « humeurs ». Cette dimension érotique se manifeste sur de nombreuses gravures ou tableaux d’époque où le luth est représenté dans des scènes galantes, voire très galantes, ou associé à des femmes dénudées.