Portraits de Toulousaines : les émancipées
L’équipe de Rosalis vous propose un nouveau cycle autour de portraits de Toulousaines. Nous commençons en cette semaine du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, par les portraits de cinq Toulousaines émancipées, qui ont su déjouer ce que la société attendait d’elle, et être finalement en avance sur leur temps.
Cet article a été écrit dans le cadre de la programmation de mars 2023 à Toulouse : notamment de l’atelier participatif Wikipédia à la Médiathèque Empalot le 11 mars 2023, mais aussi de l’exposition « Portraits de France » portée par l’association Tactikollectif et le Muséum de l’Homme à Paris du 3 février au 2 avril 2023 dans la salle du Réfectoire de La Grave.
Clémence Isaure (15e siècle), fondatrice des Jeux Floraux de Toulouse
Noble toulousaine, mécène généreuse ou héroïne romantique, on attribue souvent à Clémence Isaure des origines rocambolesques et légendaires. Son existence n’est pas attestée car on n’a jamais retrouvé son testament dans les archives juridiques et son existence réelle ou supposée a fait l’objet d’un débat au cours des siècles. La légende dit qu’elle aurait appartenu à une noble et ancienne famille toulousaine, les Ysalguier, dont sont issus de célèbres capitouls.
On raconte que Clémence Isaure, ayant vécu au XVe siècle, serait la fondatrice des Jeux Floraux de Toulouse. Elle aurait mis sa fortune à disposition pour que soit restauré un ancien concours littéraire du XIVe siècle, le Gai Savoir, qui récompensait les troubadours et la poésie. Présidant les séances des Jeux Floraux, elle aurait siégé aux côtés des hommes illustres de sa ville, les mainteneurs des Jeux Floraux et les capitouls. Les Toulousains et l’Académie des Jeux Floraux l’ont beaucoup célébré, à travers des éloges, des poèmes, des sculptures ou encore des tableaux en louant sa beauté mais également son autorité.
Jane Dieulafoy (1851, Toulouse – 1916, Pompertuzat), archéologue
Jane Dieulafoy est née en 1851 dans une riche famille bourgeoise installée à Toulouse, les Magre. En 1870 elle épouse un jeune ingénieur, Marcel. Tous deux aiment l’aventure et les voyages et décident de se lancer dans une carrière d’archéologues pour faire des fouilles en Perse. Ils arrivent à Suse en janvier 1882. Pour pouvoir travailler, Jane n’hésite pas à s’habiller en homme car les vêtements masculins sont plus commodes que ceux des femmes et ils lui permettent en outre de passer inaperçue dans les pays islamiques. De leur voyage, ils en tirent L’Art antique de la Perse, un ouvrage en cinq volumes publié entre 1884 et 1885. On y retrouve les photographies prises par Jane, des photos des villes, des monuments et de leurs habitants, en particulier des femmes persanes.
Après être rentrés à Paris, en 1884, les Dieulafoy repartent pour Suse en 1885, cette fois-ci à la tête d’une mission officielle sous le patronage du musée du Louvre et du ministère de l’Instruction publique. Jane surveille les travaux et enregistre les objets découverts. Sa célébrité et celle de son époux grandissent avec l’inauguration de la salle perse du musée du Louvre (la galerie Dieulafoy), en 1886, par le président de la République Sadi Carnot, qui la décore de la Légion d’honneur. Après son retour de Perse, Jane ne portera plus jamais de vêtements féminins.
En 1914, alors qu’éclate la Grande Guerre, Marcel s’engage comme officier du génie au Maroc. Jane part avec lui. À Rabat, elle dirige les fouilles de la mosquée Hassan, mais tombe malade en luttant pour améliorer les conditions de vie de la population locale. Elle meurt au château de Langlade, en mai 1916, âgée de 64 ans.
A lire : Audrey Marty, Jane Dieulafoy (1851-1916) : la résurrection d’une figure toulousaine, tombée dans l’oubli, dans : L’Auta, novembre 2021, n° 129, p. 354-363
Germaine Chaumel (1895, Toulouse – 1982, Blagnac), photographe reporter
Femme de passions, Germaine Chaumel est tour à tour dessinatrice, pianiste, chanteuse d’opéra, mais surtout photographe. Autodidacte, elle se forme à la photographie en étudiant les travaux de Man Ray et Brassai, ses références. En 1935 sa passion pour la photographie devient exclusive mais n’en fait réellement son métier qu’en 1937. Armée de son Rolleiflex elle immortalise le quotidien des Toulousains et les personnalités politiques, artistiques ou religieuses.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, elle est engagée à plein temps chez Paris Soir et La Garonne, elle devient correspondante du New York Times, de France Presse, de Keystone, ainsi que de nombreux journaux régionaux (L’Indépendant, La Petite Gironde, La Dépêche, etc). Ses photos retranscrivent les conditions épouvantables du moment : les restrictions, le rationnement et l’hiver glacial. Elle immortalise l’exil des républicains espagnols, les réfugiés de l’exode du nord de la France, mais aussi l’arrivée des Allemands au Capitole le 11 novembre 1942 et la vie quotidienne des Toulousains sous l’occupation.
Après la Libération, Germaine Chaumel travaille pour les nouveaux journaux issus de la résistance (Le Patriote, La République et Combat). Elle patronne également le jeune Jean Dieuzaide. Dans les années 1950, elle se met au dessin de mode et à la confection de chapeaux à Paris. Elle meurt à Blagnac à l’âge de 86 ans.
Françoise d’Eaubonne (1920, Paris – 2005, Paris), militante éco-féministe
Femme de plusieurs luttes – contre le nazisme, la guerre d’Algérie ou encore la peine de mort – Françoise d’Eaubonne est avant tout une militante féministe. À 9 ans, durant sa jeunesse toulousaine, elle s’autoproclame déjà féministe. Cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF) à la fin des années 1960, elle milite pour le droit à l’avortement, et lance le Front homosexuel d’action révolutionnaire. A partir de 1988, elle devient secrétaire générale de SOS Sexisme.
Parallèlement, sa prise de conscience écologique se fait dans les années 1970, imprégnée du rapport Meadows, Limites à la croissance. Plutôt que de mener séparément les deux combats, elle opère dès 1974 la synthèse entre dénonciation de l’exploitation de la nature par l’Homme et l’exploitation de la femme par l’homme. Elle est d’ailleurs à l’origine du terme d’« écoféminisme ». Elle fonde l’association Écologie-Féminisme en 1978.
Elle a également écrit de nombreuses œuvres littéraires : des poèmes, des romans, des essais, des biographies, des traductions, des pamphlets, des préfaces, etc. Elle est enterré au cimetière du Père-Lachaise en 2005.
Francesca Trentin, dite Franca (1919 en Italie – 2010, Venise en Italie), résistante et universitaire
Francesca Trentin est la fille de Silvio Trentin, avocat, professeur de droit et député, l’une des plus grandes figures de l’antifascisme italien. En 1926, son père, qui refuse de faire allégeance au régime de Mussolini, l’amène elle et sa famille en France se réfugier dans le Gers. Arrivés à Toulouse en 1934, son père ouvre une librairie dans la rue du Languedoc. Cette dernière est le foyer d’une grande effervescence intellectuelle et résistante antifasciste. Utilisant la publication comme une arme politique, il s’engage dans une lutte infatigable contre les idées fascistes.
Francesca passe son baccalauréat, puis s’inscrit à la faculté des lettres de Toulouse et se spécialise en littératures anglaise et italienne. Elle entre dans la Résistance très jeune au sein du mouvement Libérer et fédérer, dont son père est l’un des fondateurs. En 1943, son père rentre en Italie et meurt en 1944 après avoir été arrêté par les fascistes.
Elle reste en France où elle épouse un réfugié espagnol, Horace Torrubia. Agrégée d’italien, elle consacre ses travaux aux influences croisées des cultures française et italienne et écrit de nombreux articles sur l’enseignement du français, la traduction et la littérature féminine. De 1957 à 1966, elle enseigne au département d’italien de la Sorbonne. Elle reste une figure admirée pour ses engagements en faveur de la justice, de la liberté et des droits des femmes.